Introduction
A l’occasion de la signature du pacte d’amitié entre le Château d’Osaka et le Château des Ducs de Bretagne à Nantes, un atelier découverte du théâtre Nô a été organisé. Je ne connaissais pas vraiment cet art et c’était l’occasion d’en apprendre plus et j’ai effectivement appris moult choses. J’ai par exemple appris que « tenshi » ne signifiait pas « ange » comme un européen peut l’imaginer, dans la culture traditionnelle japonaise, un « tenshi » a le haut du corps d’un homme sur un corps d’oiseau. Cela a été aussi l’occasion pour moi d’assister une représentation de la pièce Tsuchigumo par la compagnie du Yamamoto Noh Theater. Je m’excuse par avance de la piètre qualité des vidéos ^_^
Histoire
Le théâtre Nô est apparu il y a environ 650 ans, il descendrait du dengaku nô (littéralement « musique de rizière ») qui était prisé par les élites pour sa tradition littéraire et poétique et du sarugaku nô (littéralement « musique de singe ») plus populaire, limite grotesque et vulgaire. Le théâtre Nô est le plus ancien théâtre de masque au monde et il a été officiellement inscrit en 2008 au patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO. Depuis le 14ème siècle, la tradition du Nô a traversé les âges sans interruption, il bénéficiait d’une grande popularité durant les guerres civiles au 16ème siècle comme l’art de l’élite militaire. Les guerriers samouraïs ne l’appréciaient pas seulement en tant que spectateurs, mais ils aimaient aussi le pratiquer. Ce sont ces derniers qui en définissent les codes qui sont encore en vigueur aujourd’hui. Le Nô était alors l’art cérémonial officiel du shôgunat et de ce fait, il était protégé et préservé en tant qu’Art classique. Le Nô est un art qui ne s’apprécie pas seulement du regard mais également avec l’esprit et l’imagination.
L’orchestre du théâtre Nô
L’orchestre du théâtre Nô est composé de 4 musiciens qui jouent chacun de 4 instruments différents. Les instruments sont de véritables objets d’art issus des techniques artisanales traditionnelles du Japon. Certains musiciens jouent sur des instruments qui peuvent avoir 400 ans car ils se transmettent de génération en génération.
- Fue est une flûte traversière à 7 trous en bambou, elle a la particularité de ne pas être accordée et donc, deux flûtes Fue auront deux sons différents, c’est pour cela qu’il peut n’y avoir qu’une seule flûte dans l’orchestre.
- Ko-tsuzumi est un petit tambour… Il est constitué d’un corps en forme de sablier fabriqué à partir de bois de cerisier, aux extrémités se trouvent deux peaux tendres tendues, provenant du ventre d’un jeune cheval… La corde orange permet de faire varier le son. C’est un instrument qui doit être continuellement humidifié au cours de la représentation pour obtenir un joli son. Quand le musicien ne joue pas, il respire contre la peau pour maintenir le taux d’humidité.
- Ô-tsuzumi est aussi un tambour et il est réputé comme étant l’instrument le plus pénible à jouer au monde, il faut frapper à mains nues une peau très tendue et sèche, les musiciens se protègent les doigts mais cela ne les empêche pas de développer des callosités. Le corps est aussi en forme de sablier mais les peaux utilisée sont épaisses, elles proviennent du dos ou de l’arrière train d’un vieux cheval. Contrairement à son petit frère, la peau du ō-tsuzumi doit être très sèche, et l’instrument est démonté quand il n’est pas utilisé car la peau s’abîme très vite. Une peau est utilisée pour une dizaine de représentation avant d’être changée, sinon la qualité du son est moins bonne. Il a un son très aigu, très caractéristique de la musique traditionnelle japonaise.
- Taïko est le dernier tambour de l’ensemble… Il est constitué d’une peau de vache avec en son centre un petit cercle de peau de cerf… Les baguettes de cyprès ne doivent toucher que le petit cercle. Il est utilisé lorsque le monstre apparaît.
Il n’y a pas de partitions, les musiciens accordent leur rythme grâce à leurs cris qui indiquent s’ils doivent diminuer ou accélérer.
Les acteurs du théâtre Nô
Le chœur est composé de 8 à 12 personnes et occupe le côté droit de la scène. Le chœur est chargé de fournir les éléments de narration et parfois de dire les répliques d’un acteur lorsque celui-ci exécute une danse. Le texte est psalmodié selon des intonations codifiées comme pour l’orchestre, il n’y a pas de partition, de ce fait, c’est le chef de cœur qui donne l’intonation que les autres devront suivre.
Pour les personnages, il existe trois types de rôle :
- Le Shite, « celui qui agit », qui est le personne principal. C’est lui qui fait progresser l’intrigue grâce à ses danses ou ses chants. Lors du premier acte, son visage est visible, il porte ensuite un masque qui montre sa véritable nature.
- Le Waki, « celui qui est sur le côté », c’est le second rôle. C’est lui qui introduit l’histoire, le contexte et le Shite. Il ne porte jamais de masque et il s’agit toujours d’un rôle masculin.
- Le Tsure, « amené avec soi », qui a plus un rôle d’assistant et il n’influence pas l’histoire.
Dès le début de leur carrière, les acteurs devront faire le choix du type de rôle qu’ils souhaiteront interpréter, ils seront soit Shite, soit Waki. Et ils ne pourront pas en changer, ils s’exercent avec des professeurs différents et de ce fait, ce sont des rôles qui ont chacun leurs spécificités. Un acteur de Nô se déplace lentement sur scène en glissant les pieds sans faire de bruit, c’était par respect dû aux samouraïs qui se trouvaient dans le public. Quand un acteur de Nô frappe le sol avec ses pieds, cela signifie qu’il est en plein combat. A l’origine, seuls les hommes étaient autorisés à pratiquer le Nô mais depuis une centaine d’années, les femmes peuvent le pratiquer.
Costumes & accessoires
Les costumes sont très riches et très travaillés. On sent clairement l’influence des vêtements de cérémonie ou des samouraïs. Ils sont lourds et épais, ce qui renforce l’impression de richesse. Les costumes sont souvent de couleurs vives avec des broderies en fil d’or.
Les éventails sont également un élément important des personnages. La position de l’éventail et la façon dont il est tenu symbolise, soit un objet (katana, rame…), soit un élément de l’environnement (soleil, neige…), soit des gestes de la vie quotidienne (action de boire…), soit les émotions du personnage (pleurs, joie, colère…). Ils faut aussi noter que les éventails pour les personnages masculins et ceux pour les personnages féminins n’ont pas la même forme quand ils sont fermés
Les masques sont un élément indissociable du théâtre Nô, il existe plus de 250 masques différents et qui sont répartis en 4 catégories :
- Onna, les masques de femmes
- Otoko, les masques d’hommes
- Oni, les masques de démon
- Jô, les masques d’hommes âgés
Fabriqué de façon artisanal même encore aujourd’hui, il est interdit de les toucher avec les mains, il faut les prendre par le lacet, un acteur doit le saluer avant le mettre et quand il l’enlève en signe de respect.
Tsuchigumo, L’Araignée de terre : l’histoire
Constituée de 2 actes, la pièce raconte l’histoire de Minato no Raikô connu pour ses exploits militaires à la période Heian, terrassant le monstre Tsuchigumo.
Kochô la dame de compagnie rend visite à Minamoto no Raikô qui est malade et alité pour lui apporter des médicaments, elle le console et elle repart. C’est alors qu’un moine suspect apparaît soudainement dans la chambre et lui jette mille soies d’araignée. Raikô lui porte un coup d’épée avec son katana « Hizamaru » qui était caché sous son oreiller. Alerté par les bruits, un serviteur de Raikô arrive et écoute son maître lui expliquer ce qui vient de se passer. Alors, le serviteur part exterminer l’araignée en suivant les traces de sang. Il arrive au Mont Katsuragi où il trouve une butte. Quand il la démolit, Tsuchigumo apparaît en lui jetant des fils de soie mais le serviteur le tue en le décapitant.
Conclusion
Je ne connaissais pas vraiment le théâtre Nô qui a bien failli disparaître au profit du Kabuki. Quand la question a été posée sur le nombre d’acteur de théâtre Nô au Japon, la réponse a été environ 1100, ce qui est peu. J’ai été surprise par tous les codes et par la gestuelle où tout a une signification. Au départ, j’ai été un peu hermétique à tous ces codes, il y en a tellement que c’est difficile de tous les assimiler. Mais en laissant parler mon imagination et après un premier acte où j’ai eu du mal à rentrer dedans, je me suis laissée happer par l’histoire de Tsuchigumo, au point de ne pas avoir vu le 2nd acte passer et d’avoir eu un sentiment de frustration quand la pièce s’est terminée. Si vous en avez l’occasion, je ne peux que vous conseiller d’assister à une pièce de théâtre Nô, c’est une expérience qui vaut le coup d’être vécue.
Article très intéressant, tout semble très organisé, avec les instruments, les chants et les acteurs.
Du coup, j’ai une question par rapport à la pièce que tu décris (ou plusieurs ^^). Dans celle-ci, qui a le rôle de Shite, Waki et Tsure? Il n’y a qu’un acteur pour chaque type de rôle? Et un acteur peut-il jouer plusieurs personnages dans la même pièce?
Je ne pourrais répondre que par rapport à la pièce que j’ai vu, et encore je ne suis même pas sûre de bien différencier les rôles :wacko:
Kochô, la dame de compagnie, est tsure… Le serviteur de Raikô est pour moi le waki, je me souviens qu’il introduisait l’histoire. Le moine, Minato no Raikô et Hitori-musha (le guerrier) doivent être shite…
Sachant que j’ai eu du mal de savoir qui parlait car j’étais loin de la scène et ils ont tous la même voix…
Et vu les costumes et le temps pour les mettre, un acteur ne joue qu’un seul rôle dans une pièce 😉
Je me disais qu’avec les masques, un acteur pouvait peut-être endosser plusieurs rôles, mais c’est vrai qu’il y a la tenue aussi ^^
Merci pour tes réponses 🙂
Mais de rien 😉
Les codes sont tellement denses que c’est difficile pour un occidental de tous les intégrer :wacko: